Il y a 75 ans - La Belgique se souvient

Il y a 75 ans, la Belgique commémorait, pour la première fois, la libération de septembre 1944 à l’heure où le Japon venait de signer la capitulation mettant ainsi fin à la Seconde Guerre mondiale.. Certes, le 3 septembre, c’est avant tout Bruxelles qui avait été libérée mais, un an plus tard, les festivités organisées dans la capitale prennent des proportions nationales. Le programme commémoratif s’échelonne sur une semaine, du 1er au 8 septembre 1945. Le public répond présent en masse et n’est pas exclusivement bruxellois alors que c’était le cas un an plus tôt.
Il faut dire que l’on a mis les petits plats dans les grands. L’événement est célébré en grande pompe. Une importante revue militaire défile dans les grandes artères de la ville. Comme en septembre 1944, ceux qui sont à l’honneur, ce sont avant tout les chefs militaires alliés et les soldats de la Brigade Piron. Des détachements des Guards, de la Royal Air Force, des soldats français, canadiens, américains – mais pas de présence soviétique – sans oublier, bien sûr, l’armée belge reconstituée défilent ensemble dans les rues, accueillis par une foule enthousiaste, le tout au son de musiques militaires. La foule leur fait un accueil délirant, lançant fleurs et confettis.

Quand la question du Roi s’invite

Alors que les autorités sont sur le point de quitter la tribune officielle installée sur la place des Palais, une partie du public franchit les barrières de sécurité pour rendre hommage au Régent. C’est alors que d’autres se mettent à scander le nom de « Léopold ». En tribune, le Premier ministre aurait réagi par un large sourire mal ressenti par les partisans du roi. Ceux-ci tentent dès lors de prendre la tribune d’assaut avant d’être refoulés par les forces de l’ordre. L’incident n’est guère évoqué par la presse mais il le sera à plusieurs reprises en conseil des ministres ; policiers et gendarmes se rejetant la responsabilité du maintien de l’ordre lors des festivités. L’incident et l’importance que le gouvernement y porte montrent en tous les cas combien la question royale est déjà très sensible.

Et la Résistance ?

En ce 3 septembre, peu de place est faite à la Résistance. Il faut dire qu’on célèbre avant tout la Libération. C’est la veille, le dimanche 2 septembre, que la Résistance a été mise à l’honneur. Les choses se sont faites en ordre dispersé. A la Gare du midi, la SNCB a rendu hommage aux cheminots qui s’étaient illustrés un an auparavant dans l’épisode dit du train fantôme, ce convoi à bord duquel quelque 1.500 prisonniers ont été entassés en vue d’être déportés vers l’Allemagne mais qui, grâce au courage de cheminots belges, n’a pas dépassé Malines et est revenu le 3 septembre 1944 à la Gare du midi.
De son côté, le Mouvement national royaliste a rendu hommage à cinq des siens tombés sous les tirs d’une patrouille allemande, rue de la Régence, à la hauteur des Musées royaux des Beaux-Arts le 3 septembre 1944.
Le Front de l’Indépendance organise, quant à lui, une « Journée de la Résistance » qui passe par des lieux de mémoire traditionnels de la capitale : cérémonie au Soldat inconnu, messe à Notre-Dame du Sablon et, ensuite, cérémonie d’hommage sur la Grand-Place de Bruxelles en présence du ministre de la Défense, le libéral Léon Mundeleer et des autorités de la Ville. La soirée s’est terminée par un bal populaire.

Le retour de l’Agneau mystique

Ce 3 septembre 1945 est également marqué par le retour de l’Agneau mystique. Le célèbre polyptique des frères Van Eyck avait en effet été emporté par l’occupant sur ordre du Führer en 1942. Après avoir été entreposé dans la mine de sel d’Altaussee en Autriche, le retable avait été retrouvé par les fameux Monuments Men, une unité créée en 1943 à l’initiative du général Eisenhower et chargée de récupérer les œuvres d’art dérobées par les nazis. L’œuvre, remise au Régent par l’ambassadeur américain est exposée durant quelques jours au Palais des Beaux-Arts avant de retrouver sa place dans la cathédrale Saint-Bavon à Gand.

Un hommage à Eisenhower

A partir du 6 septembre, c’est le général Eisenhower qui est à l’honneur. Sa visite n’est pas la première. En novembre 1944, à l’heure où la priorité politique était au désarmement de la Résistance, il était venu pour une visite très politique afin d’appuyer le gouvernement belge. Cette fois, sa présence est beaucoup plus cérémonielle. Il est notamment reçu au Palais royal où il est décoré de l’ordre de Léopold par le Régent. Il est également fait citoyen d’honneur de la Ville de Bruxelles et inaugure l’avenue rebaptisée à son nom à Schaerbeek. Enfin, la semaine se termine par le grand bal de la Victoire le samedi 8 septembre au Théâtre de la Monnaie et sur la place qui le jouxte. Une commémoration de la Libération appelée à devenir une tradition !

Chantal Kesteloot

© KBR, Archives de l’Etat, Archives communales de Schaerbeek