Illustration : Placard concernant l'obscurcissement des fenêtres durant le couvre-feu, [1940-1945], copyrights CegeSoma/Archives de l'Etat

Les guerres mondiales, périodes privilégiées de confinement(s) ?

Par l’effet d’une pandémie inopinée, le « confinement » (du latin cum, « avec », et finis, « limites») est soudain devenu un terme fort usité. Longtemps associé à l’industrie nucléaire bien pourvue, il est vrai, en « enceintes de confinement », voire, dans l’univers carcéral, à un certain type de cellule à caractère disciplinaire, le concept, du fait des circonstances, a vu se réactiver une de ses significations un peu oubliées désignant, dans un cadre sanitaire, la période d’isolement social destinée à empêcher la propagation d’une épidémie.
Au fond, le confinement tel que nous le vivons, semble bel et bien en résonnance avec la « quarantaine » d’autrefois – pour ne pas dire qu’il en constitue un synonyme, un peu aseptisé. En effet, la « mise en quarantaine » telle qu’elle a été pratiquée à partir de l’Italie du nord et à partir des XVIème-XVIIème siècles, ne risquait-elle pas d’évoquer à l’excès, au regard des populations, les épidémies meurtrières qui se sont abattues à intervalles réguliers sur la pauvre humanité ? Et pendant les deux guerres mondiales, y-a-t-il eu des périodes de confinement ? Le mot, sinon la chose, brille à peu près par son absence, aussi bien en ’14-’18 qu’en ’39-’45.

Et pourtant ! Avec la « grippe (dite erronément) espagnole » qui a ravagé le monde en 1918-1919 et qui constitue sans nul doute la première véritable pandémie connue (la peste noire du XIVème siècle n’a jamais atteint, et pour cause, les Amériques ni l’Australie), on aurait pu croire que les gouvernements de l’époque, habitués depuis 3 ans à gérer des situations de crises graves, auraient réagi par une bonne « mise en quarantaine ». Il n’en a rien été, hormis dans les cas extrêmement limités de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de certains établissements américains du Pacifique, atteints tardivement et ayant eu le temps d’appréhender le danger. Mais pour l’immense majorité des responsables politiques, le caractère original de la maladie, longtemps confondue avec « une bonne grippe », n’a pas été correctement appréhendé, comme n’ont pas été décelées les complications broncho-pulmonaires qu’elle engendrait d’ordinaire usque ad mortem. Quand on s’en est rendu compte en octobre 1918, c’était trop tard. Dont coût : une cinquantaine de millions de morts à travers le monde, avec des pics de décès dans l’Empire des Indes ainsi qu’en Chine, un demi-million de citoyens américains, 200 000 Français, et 35 000 Belges, …. Mais ni quarantaine ni confinement, si ce n’est du côté de la lointaine Australie … qui échappa ainsi au pire!

Pendant la Seconde Guerre mondiale, si l’on s’en tient au seul plan sanitaire et que l’on se limite à la seule Europe occidentale : pas de confinement … faute d’épidémies majeures. C’est à peine si l’on peut évoquer dans la Belgique des années ’39-’45 une expansion assez remarquable de maladies infectieuses du type oreillons et coqueluche, nécessitant certes le confinement d’individus atteints mais ne concernant pas des collectivités. En Europe orientale, essentiellement en Pologne et dans l’URSS en guerre se manifestèrent quand même des épidémies récurrentes de typhus et de choléra, très redoutées par l’occupant allemand, ainsi que des maladies liées à la malnutrition et à la sous-alimentation, avec des vagues de famines en Grèce ainsi qu’en Ukraine occupées.
 Toutefois, il convient d’attirer l’attention sur une forme particulière de confinement avec la pratique du « couvre-feu » imposé ici et là par les autorités allemandes, en fonction des actes de résistance perpétrés … ou des bonnes dispositions supposées des populations. Modulées par les Kommandanturen locales, selon la bonne vieille technique de la carotte et du bâton, ces périodes de « confinement » pouvaient concerner dans certaines grandes agglomérations des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de personnes, et elles s’étendaient souvent, dans les moments de crise, de la tombée de la nuit au lever du jour, quittes à se relâcher dans les moments de « normalisation »…

Pour la communauté juive de Belgique, il n’y a pas eu de normalisation. Toutes les ordonnances allemandes prises à son encontre (et il y en eut pas moins de 17 entre le 28 octobre 1940 et le 1er juin 1942) allaient dans le sens d’un « confinement/ségrégation », en attendant la déportation dans l’été 1942. Particulièrement exemplative était à cet égard l’ordonnance du 29 août 1941 limitant la libre circulation des Juifs. Un couvre-feu « perpétuel » leur était imposé de 20 H à 7 H du matin, et ils ne pouvaient désormais plus résider que dans 4 villes du pays : Bruxelles, Anvers, Liège et Charleroi. Pour certains, l’auto-confinement était en quelque sorte la stratégie de survie par excellence. Se cacher, se soustraire au corps social pour espérer survivre, telle a été la stratégie de nombreux Juifs traqués par l’occupant. Cet auto-confinement a pu prendre des formes diverses : en famille voire ne concerner que les enfants, cachés chez des particuliers ou dans des communautés. Pour eux, il importait de se soustraire, de n’être plus dans l’espoir hypothétique de survivre à l’occupation.

Enfin, il y avait encore, évidemment, une sorte de « confinement/internement » appliqué par les divers protagonistes à l’égard de citoyens ennemis. En Belgique, les nazis ont interné certains civils appartenant aux puissances en guerre avec le Reich et restés malencontreusement en territoires occupés : Britanniques, Américains (à partir de décembre ’41), Brésiliens … Les uns, souvent des hommes supposément susceptibles de nuire aux intérêts de l’Allemagne, se voyaient proprement internés dans une enceinte militaire, style fort de Huy ou section allemande d’une prison belge. Les autres, plutôt des femmes et des enfants jugés inoffensifs, étaient consignés dans leur lieu de résidence ordinaire ou assignés dans un endroit déterminé et soumis à contrôle, en attendant d’être rapatriés via un pays neutre. Dans notre pays, cela n’a jamais concerné que quelques centaines d’individus, et le souvenir de leur malaventure est tombé dans l’oubli même si, ici, leur « confinement » était à la limite de l’internement.

Il y aurait peut-être même un travail à mener sur le statut des notabilités autochtones prises en otages à intervalles réguliers par l’occupant dans les moments de tension, et contraintes d’effectuer un séjour plus ou moins long dans le système carcéral nazi.
Ailleurs dans le monde, les Etats-Unis ont interné plus de 120.000 personnes, de nationalité nippone ou des Américains d’origine japonaise. La Grande-Bretagne a, elle aussi, emprisonné des milliers de ressortissants « ennemis » sur le territoire de l’Ile de Man.
Mais ici aussi, c’est plutôt d’un internement et non d’un confinement dont il s’agit, et sa conclusion pouvait s’avérer tragique …

A. Colignon