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Les armes secrètes allemandes dans la bibliothèque du CegeSoma

 

Les armes secrètes allemandes dans la bibliothèque du CegeSoma  … Sous ce titre, nous vous invitons à découvrir le second thème de notre série ‘les rendez-vous du bibliothécaire’. Chaque thème repris sera l’occasion de vous plonger dans nos collections et sera illustré par une vidéo et un texte complétant les informations s’y trouvant.

Visionnez la seconde vidéo ‘Les rendez-vous du bibliothécaire : 2. Les armes secrètes allemandes dans la bibliothèque du CegeSoma’.

 

 

Les amateurs passionnés de la Seconde Guerre mondiale, du moins ceux qui sont plutôt férus de « militaria », éprouvent souvent un vif attrait pour les recherches  ayant trait aux « armes secrètes allemandes », qu’il s’agisse de leur élaboration technique, de leur entrée en lice sur le champ de bataille durant la dernière phase du conflit… ou de spéculations de type quelque peu uchronique : que ce serait-il passé si elles avaient été plus précocement déployées ? Et l’imagination de courir, inventant  des futurs moins réjouissants pour les armées alliées et-qui sait ?- allant jusqu’à envisager une survie  du Reich au-delà de la date fatidique de mai ‘45 …

Cette approche, qui traduit souvent, de manière un peu naïve,  une bonne dose de fascination pour la maîtrise technico-scientifique allemande (nazie ?) ne date pas d’hier : pendant une bonne partie de la guerre, responsables politiques et savants anglo-saxons ont redouté « un coup de jarnac » avec l’entrée en action soudaine d’une arme aussi nouvelle que décisive sortie des cerveaux germaniques et des forges de Krupp… Et même s’il n’en a rien été, le déploiement par la Wehrmacht, en ’44-’45, d’un certain armement traduisant un indéniable saut qualitatif rendait plausible le risque, à première vue.

Au risque de brider les imaginations, la présente contribution, dans le cadre limité qui est le sien, va s’efforcer de remettre l’église au milieu du village. Outre le fait que ces armes mirifiques qui devaient bouleverser le cours de l’Histoire sont intervenues « trop tard et trop peu nombreuses » dans le déroulement du conflit (en général APRES juin 1944, c’est-à-dire après le débarquement de Normandie et après l’éviction brutale des dernières armées nazies d’Union Soviétique), la messe aurait de toute façon été dite en août 1945, avec l’entrée en action de la bombe atomique américaine, les nazis  ayant délaissé le champ de recherches du nucléaire pour courir d’autres chevaux… Ces retards, ces tâtonnements, ces déploiements ralentis sur le terrain étaient dus à la nature particulière du système hitlérien : rivalités des bureaux d’études et des constructeurs, faiblesses dans les coordinations techniques, frictions entre baronnies nazies ( Wehrmacht, SS, Luftwaffe,…), gaspillages de ressources, mobilisation inadéquate de la main-d’œuvre. Et surtout : faiblesses dans les  productions standardisées et centralisées, contrairement aux pays anglo-saxons. Ainsi, en 1943, plus d’un an après son entrée en action, Albert Speer, ministre de l’Industrie et de l’Armement du Reich, pourtant pragmatique et bon planificateur, devait encore gérer dans la Luftwaffe pas moins de 425 types et versions d’avions…

Quant aux résultats, les chiffres parlent d’eux-mêmes…Si on veut bien recourir aux données fournies par « Wikipédia », grand marché du savoir élémentaire et factuel, sur le site des « Armes secrètes allemandes », on peut s’en tenir à quelque 118 entrées. Sur ce chiffre, 41, 5% des armes mentionnées n’ont JAMAIS dépassé le stade de la planche à dessin, 28,8% ont atteint le stade du prototype, 7,6 % ont réussi à accéder à la production en usine…mais n’ont pas eu le temps d’être utilisé suite à l’effondrement allemand, en mars-avril 1945.Et seuls 22% ont  effectivement pu être utilisés dans les combats, jusqu’à un certain point, et avec un succès…mitigé.

En fait, il faut toujours avoir en tête l’idée que seule une demi-douzaine d’armes véritablement innovantes ont eu le temps d’être déployées à grande échelle : le fusil d’assaut Sturmgewehr 44 de Hugo Schmeisser (426.000 exemplaires produits, l’ancêtre de la « Kalachnikov » ; le chasseur à réaction Messerschmitt Me-262  (1430 exemplaires construits) ;  les bombes antinavires téléguidées Fritz X et Henschel Hs-293 ; les missiles Fieseler Fi-103 (le V-1,  environ 30.000 exemplaires fabriqués)) et Aggregat A4  (le V-2, 5.200 exemplaires construits). Encore convient-il de nuancer. Si le Me-262  a été produit en assez grand nombre, il a été peu déployé suite à des défauts de jeunesse de ses réacteurs, qui avaient tendance à prendre feu ou à s’arrêter brutalement : au printemps 1945, l’Allemagne était à peine capable d’en lancer une quarantaine simultanément sur les vagues de bombardiers quadrimoteurs alliés et leurs succès ont été des plus limités.  Quant aux V-1  et aux V-2 , l’imprécision de leur tir limitait leurs capacités de nuisance stratégique, même si leur impact psychologique n’a pas été négligeable…

Les autres « armes secrètes » du Reich dans le domaine aéronautique n’ont connu qu’une utilisation anecdotique, qu’il s’agisse du Messerschmitt 163-A « Komet » (il n’était pas vraiment au point et a causé la mort de plus de pilotes allemands que d’aviateurs alliés…), de l’ Arado Ar-234  ( c’était un bombardier léger fort valable, mais on a pu le compter dans les airs sur les doigts de deux mains) ou du Heinkel He-162. La Kriegsmarine s’est vue logée à la même enseigne : les sous-marins de type XXI auraient pu constituer l’arme de nouvelle génération la plus accomplie pour ses capacités en submersion et son armement. Las, le premier n’est entré en service théorique que le 27 juin 1944, et sur les 1170 programmés, 4 étaient opérationnels le 8 mai 1945.

La conclusion s’impose d’elle-même : les « armes secrètes allemandes » ont constitué surtout, pour les raisons évoquées, une excellente arme de propagande pour les services  du Dr Goebbels, et leur mise en valeur était surtout à usage du peuple allemand, pour entretenir sa foi en la victoire finale, malgré une conjoncture géostratégique de plus en plus désespérée.

Plus de trois quarts de siècle après l’effacement de l’Allemagne nazie, de ses pompes et de ses œuvres empoisonnées, il est permis au citoyen-lambda de contempler avec détachement ces « prouesses » de la technologie nazie, mises en scène par Josef Goebbels, et reprises con amore par  les naïfs et les curieux abreuvés par un certain type de littérature journalistique-ou pire. 

Et dans la bibliothèque du CegeSoma ?

Le chercheur ou le curieux désireux d’aller « plus loin » trouvera sans doute, avec certaines limites, des compléments d’information sur ces mirifiques « armes secrètes allemandes »dans la Bibliothèque du CegeSoma. Les limites évoquées sont naturellement celles résultant de la « Mission Statement » de notre institution, qui n’était pas, par destination, spécifiquement « branchée » sur l’histoire militaire mais qui devait plutôt envisager les impacts du « phénomène guerre » sur la société civile belge, prioritairement du point de vue politique, économique, social et culturel.

L’acquisition d’ouvrages relatifs au domaine qui nous occupe a été longtemps périphérique, même si , on le devine, on a toujours fait bon accueil aux titres relevant de cette thématique dans les dons ou les legs de collectionneurs privés. Cela nous a permis d’accumuler en la matière quelques dizaines de livres intéressants, avec, ici et là, des manques criants au regard des spécialistes.

Pour ce qui est de la Belgique, les travaux et les études sur les armes secrètes allemandes se limitent à peu près exclusivement aux V-1 et V-2, mais il est vrai que notre pays a particulièrement souffert de l’entrée en action de ces deux types de missiles, aussi bien à Liège qu’à Anvers. Nous possédons ainsi dans nos collections depuis belle lurette Bilan Vi-V2-Omdat ge het niet zoudt vergeten-Lest we forget-Pour que vous ne l’oublierez (sic !) jamais, Antwerpen, International Propaganda Kantoor, 1945 mais aussi, dans le domaine néerlandophone, la plus récente contribution de R. PATTEET, 160 dagen van V-1 liegende V-2 ergelding : studie van de V-bommen in de gemeenten Beerzel, Berlaar, Booischot, Hallaar, Heist, Hulshout, Liegem, Putte, Schriek,…Heist, Die Swane, 1994. Et en Belgique francophone, outre la classique Belgique sous les bombes éditée en 1945 par le Haut-Commissariat à la Protection civile , nous possédons évidemment la belle recherche de Lambert GRAILET, Liège sous les V-1 et V-2 : un rajustement de l’importance réelle du drame (1996). Mais les productions  sur ce sujet dans la langue de Shakespeare brillent parfois par leur absence. C’est à peine si on peut faire mention du travail de David IRVING…en traduction française ( A bout portant sur Londres : la vérité sur les armes secrètes allemandes (1967), sur base de l’édition originale de 1964 sous le titre : The Mare’s Nest). Et même si cet auteur aujourd’hui très controversé pour cause de négationnisme produisait encore à l’époque des écrits de bonne facture historienne, c’est un peu maigre…On ne peut fort heureusement en dire autant avec les études allemandes, substantielles et érudites (encore faut-il connaître l’allemand…).

On épinglera  ainsi celles de : Edgar MAYER & Thomas MEHNER, Die Lügen der Alliierten und die deutschen Wunderwaffen ; das Dritte Reich, die Atombombe und der 6 August 1945, (2010) ; Fritz HAHN, Waffen und Geheim Waffen des deutschen Heeres 1933-1945 (1986) ; Ralf SCHABEL, Die Illusion der Wunderwaffen : die Rolle des Düsenflugzeuge und Flugabwehrraketen in der Rüstungspolitik des Dritten Reiches (1994).

Aux côtés de ces productions d’outre-Rhin dont nous avons donné un petit aperçu, on peut dire que nous possédons  un assez bel  éventail de titres relatifs à ce sujet, étant entendu qu’ils sont parfois un peu « datés », et donc un peu dépassés. Signalons dans ce registre Albert DUCROCQ, Les armes secrètes allemandes (1947), l’inévitable et prolifique Colonel REMY (avec  « …et l’Angleterre sera détruite. » -1969-, Victor DEBUCHY, L’étrange histoire des armes secrètes allemandes (1978), Max DUTILLEUX , Le camp des armes secrètes : Dora-Mittelbau (1993), etc, etc… Et nous nous abstiendrons ici de faire mention des articles dans les revues d’histoire contemporaine, en signalant simplement, en passant, qu’un assez bel ensemble de revues spécialisées en histoire des armements et orientées sur cette thématique seront bientôt introduites dans nos collections.

Etant entendu que nous accueillerons toujours volontiers, mais après examen préalable,  tout nouvel apport livresque relevant de l’antiquariat et traitant de ce thème, puisqu’il y a apparemment demande en la matière, sur ce champ d’investigation trop longtemps délaissé par le CegeSoma !  

Mais faute avouée n’est-elle pas à moitié pardonnée ?

Alain Colignon, Bibliothécaire