'Déconfinement' – Regard de femme - 30.6.1945-30.6.2020
Suite à l’accord conclu entre le Comte Bernadotte de Suède, président du Comité International de la Croix-Rouge, et Himmler, un convoi du CICR entre à Ravensbrück dans la nuit du 23 au 24 avril 1945. Ils emmènent environ 1500 prisonnières belges, françaises et hollandaises en direction de Malmö, en Suède. Les déportées ignorent que les camions les conduisent vers la liberté. La Suède s’offrait à leur donner les premiers soins.
Nous fûmes transférées dans une ancienne maison protestante, écrit Nina Erauw, au bord d’un lac, à Margaryd. C’est là que nous avons vécu la fête du retour de la lumière, fête du printemps, en la nuit de Walpurgis célébrée dans cette Suède où nous allions vivre deux mois. Dans cette région d’eau, de forêt et de lumière et qu’on peut résumer en deux mots : lânglau (nostalgie) et stalinien (charme).
Deux mois de revalidation s’écoulent. C’est le retour au pays. Pour Nina Erauw, ce sera le 30 juin 1945.
Ci-dessous, extrait d’un entretien entre Nina Erauw et Claude Wautelet, au lendemain de sa déportation à Ravensbrück.
« Les colombes du temps ne cessent de cogner à la fenêtre. Il faudra se remettre dans la peau des vivants, entreprendre le voyage en sens inverse, bien qu’il s’agisse le plus souvent d’un retour impossible puisque rien ne peut plus effacer ce qui a été, ni remplacer les êtres chers qu’on a perdus.
Il faudra que nous clamions partout le cri de ralliement pour unir les peuples et édifier le monde. Un monde nouveau, sans frontières, sans classes, sans haine et sans prison. Où l’enfance adorée pourra grandir à l’aise. Où les vieux fatigués pourront mourir en paix.
Faudra-t-il changer le monde ? C’est utopique bien sûr. Mais que ferions-nous sans utopie ?
Tout d’abord, créer une éthique nouvelle. Pour moi, les mots : sincérité, justice, solidarité et réciprocité, doivent s’exprimer en actes car ce sont des valeurs essentielles, symboles de la dignité humaine. Je pense cependant que cette éthique ne peut en aucun cas s’acquérir par la force mais bien par l’éducation.
Je redoute aussi ce phénomène d’accoutumance de nos sociétés face aux trop nombreuses injustices sociales, à l’intolérance, au racisme et à la xénophobie, à l’accélération effrénée du rythme de la vie qui conduit à la déstructuration de l’être humain, l’absurdité et la monstruosité des solutions guerrières que l’homme n’a toujours pas abandonnées, à la dégradation progressive de la socialité, au relâchement de l’éducation, au trop peu de place que prend l’éducation du jugement chez les jeunes.
D’aucuns sont toujours persuadés de posséder une éthique solide parfaitement mise au point de façon définitive et qui réponde exactement aux conditions d’existence de l’individu.
Cela n’existe pas. Il faut la réinventer ou inventer une nouvelle éthique adaptée aux réalités du monde actuel. L’homme devrait beaucoup plus employer sa raison, son énergie et des méthodes nouvelles de pensée. Le temps de l’incohérence et du gaspillage est révolu.
J’aimerais surtout que nos enfants et petits-enfants n‘aient pas à maudire l’effroyable inconscience dont nous avons et faisons toujours preuve.
Où est l’homme ? Là où chacun reconnaît à l’autre la liberté d’être ce qu’il est, d’être en devenir. »
Qui est Nina Erauw (1917-2008) ? (1)
Née à Roux-lez-Charleroi, le 16 septembre 1917, d’une famille d’industriels, Nina Erauw n’est-elle pas une jeune fille de la bonne bourgeoisie ? Détentrice du bac à 16 ans et d’une licence en Sorbonne à 19 ans, elle devient très vite une femme d’affaires entreprenante qui va et vient en Europe dans les années d’avant-guerre et marque par-là déjà sa singularité. Rares sont aussi les jeunes femmes qui entrent quasi naturellement en résistance, par patriotisme et par dignité. Et rares certainement celles et ceux qui avouent simplement n’avoir jamais cessé d’avoir peur.
« C’était bien l’Enfer », disait-elle. Agent secret au Service de Renseignement et d’Actions (SRA), elle était de celles pour qui il fallait tenir afin de servir et participer à la reconquête des libertés démocratiques. Elle mena (entre autres …) des actions de sabotage industriel, contribua à l'évacuation de paras anglais et prit sur elle d’abriter dans son usine, des étudiants juifs. Arrêtée en 1943, elle devint Nacht und Nebel et déplacée de prison en prison en Allemagne, elle fut déportée à Ravensbrück.
En 1945, de retour au pays, elle décide de donner à la mémoire de ce passé de guerre, la force de ses mots, de ses actes, de sa vie tourbillonnante. Elle rejoint ainsi Arthur Haulot au sein du Groupe Mémoire.
Mais, l’impérieuse nécessité qu’elle ressent de vivre l’amène à refonder un foyer, ouvrir une nouvelle voie professionnelle, s’occuper effectivement des autres, que ce soit de la collectivité des victimes du nazisme dans un premier temps, des femmes et des familles ensuite, dont la libération sous tous ses aspects reste à faire.
Elle crée ainsi, en 1971, Infor Femmes Wavre qui devint Infor Famille Brabant wallon.
Avec son époux, Fernand Erauw, membre d’une Loge maçonnique initiée au camp nazi d’Esterwegen, Nina travailla à la redécouverte et la transmission des valeurs incarnées par cette loge, Liberté Chérie.
(1) José Gotovitch dans la préface de : Nina Erauw, je suis une femme libre, par Cl. Pahaut, HCD, 2009.
Pour en savoir plus :
https://www.territoires-memoire.be/en-lien
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-gu…/…/nina-erauw.html
https://www.cegesoma.be/…/il-y-75-ans-la-libération-de-rave…