Léopold III, s.d. © CegeSoma/Archives de l’Etat

Il y a 75 ans - La libération de Léopold III, adulé par les uns, honni par les autres

Emmené en Allemagne avec sa famille au lendemain du débarquement allié de Normandie, le roi Léopold III est absent à l’heure de la libération du territoire. Le 20 septembre 1944, le Parlement désigne le prince Charles, le frère du roi, comme régent à une large majorité des membres présents (217 voix pour 47 abstentions). Il prête serment le lendemain.
Dès la capitulation sans conditions de l’Allemagne, le 7 mai 1945 à Reims, plus rien ne s’oppose au retour du roi. Pourtant, la question est loin de faire l’unanimité. Du fait de l’avancée des armées alliées, la question d’un retour du roi commence à se poser véritablement à partir du mois de mars 1945. Pour le gouvernement d’union nationale, dirigé depuis février par le socialiste Achille Van Acker, pas question que le roi rentre directement en Belgique. Un accord est conclu avec les autorités alliées. Celles-ci ne permettront un retour que moyennant une demande officielle du gouvernement belge.

Fin avril, les esprits commencent à s’échauffer. Le quotidien communiste Le Drapeau rouge est le premier à se prononcer publiquement en faveur de l’abdication dans son édition des 28 et 29 avril 1945, lui reprochant notamment son attitude pendant la guerre. La question puise ses origines dans les conditions de la capitulation du 28 mai 1940 et s’est nourrie durant la guerre d’autres éléments d’ordre politique et personnel dont le mariage royal, en pleine occupation, a été particulièrement mal ressenti par certains Belges. Une semaine plus tard, le 5 mai 1945, le journal socialiste Le Peuple rend publique la position du PSB, lui aussi favorable à l’abdication. Sans surprise, le Parti social-chrétien, en pleine phase constitutive, souhaite le retour du souverain. Quant aux libéraux, sortis très affaiblis de la guerre, ils souhaitent eux aussi l’effacement du souverain. C’est dans ce contexte qu’intervient la nouvelle de la libération du roi par les armées alliées le 7 mai à Strobl, en Autriche, où il a été transféré avec les siens dès le mois de mars. Le lendemain, en pleine célébration du « V-Day », le gouvernement se réunit à deux reprises : une première réunion où la question du roi est brièvement évoquée parmi de nombreux autres points et une seconde fois en soirée où elle est la seule question à l’ordre du jour. Cette dernière réunion ne fera l’objet d’aucun compte rendu officiel... Mais on sait que l’on a notamment décidé de la composition de la délégation qui partirait rencontrer le roi dès le 9 mai.

Pendant ce temps, la question royale s’invite à l’heure de la capitulation allemande. Devant les grilles du Palais royal, les partisans de Léopold III se rassemblent et scandent son nom. Des contre-manifestants sont également présents. Dans la presse, la question du roi remplit les colonnes, disputant presque la primauté à l’information du jour : la fin officielle des hostilités. La mobilisation va grossissant au fil des jours, en particulier en Flandre. Les manifestations se multiplient. La délégation partie rencontrer le roi en Autriche ne parvient pas à dégager un compromis. Van Acker en revient convaincu que la seule solution est l’abdication. Officiellement, le roi ne peut rentrer pour des raisons de santé.

En Belgique, la tension continue de monter. Un mois plus tard, le roi fait part de son souhait de retour. En coulisse, il œuvre pour la constitution d’un gouvernement sans que cette démarche n’aboutisse. On craint que le pays ne bascule dans la violence. En juillet, le Premier ministre accompagné d’une délégation rend une nouvelle fois visite au roi. Celui-ci refuse toute abdication. Au sein du gouvernement, la crise politique devient inévitable. Les ministres catholiques démissionnent.

Au Parlement, une loi a été adoptée. Seules les Chambres sont habilitées à se prononcer sur la fin de l’impossibilité de régner du roi décidée après la capitulation du 28 mai 1940. Pour le PSC, c’est une consultation populaire qui doit trancher la question. Au printemps 1950, le principe est voté au Parlement et la consultation populaire se tient le 12 mars. Avec des résultats contrastés selon les régions et les zones d’activité – les bassins industriels et les grandes villes, plus à gauche, votant en majorité contre le roi – la population belge vote pour son retour à 57,68 %. Léopold III retrouve le sol belge le 22 juillet après les élections législatives. Des manifestations et des grèves éclatent en Wallonie.

Le 30 juillet, quatre personnes perdent la vie lors d’échauffourées à Grâce-Berleur, près de Liège. Une marche sur Bruxelles est annoncée pour le 1er août. Après une médiation de la Confédération nationale des Prisonniers politiques et Ayants droit, un accord intervient. Léopold III accepte d’abdiquer en faveur de son fils, Baudouin. La question royale a lourdement marqué la Belgique d’après-guerre.
Chantal Kesteloot