Il y a 75 ans - Un médicament miracle apparaît enfin au grand jour : la pénicilline
Aujourd’hui, les antibiotiques, considérés comme l’un des progrès thérapeutiques majeurs du 20e siècle, font partie de notre quotidien et leur utilisation, même si elle est parfois abusive, est une évidence. Mais cela n’a pas toujours été le cas.
Découverte par hasard en 1928 par l’Écossais Alexander Fleming, la pénicilline, qui à ce stade n’est encore qu’un réactif de laboratoire, ne deviendra un agent thérapeutique qu’une dizaine d’années plus tard. Il faut en effet attendre la veille de la guerre pour que des chercheurs (Howard W. Florey, Ernst B. Chain et Norman G. Heatley) arrivent à purifier la pénicilline et découvrent comment en produire en suffisance pour annihiler les bactéries qui infectent un organisme vivant.
En Belgique, quand la guerre éclate en 1940 et que l’Occupant s’installe, ce sont les sulfamides qui sont reconnus pour leur lutte contre de nombreuses maladies. On ne parle absolument pas de la pénicilline et des recherches menées par les Alliés. Le mot même, quasi ignoré de la population, le restera jusque fin 1944.
Dans les journaux belges, il faut en effet attendre novembre et décembre 1944 pour voir apparaître de petits encarts : « Pénicilline indisponible, l’autorité militaire alliée ne peut la procurer » ou « On demande de toute urgence pénicilline américaine pour sauver la vie à un malade » (La Libre Belgique, 8.11.1944 et 9.12.1944).
À l’époque, la pénicilline est réservée aux blessures de guerre des soldats alliés et aux infections les plus graves. Grâce à elle, le pourcentage de soldats blessés qui guériront est nettement plus élevé que pendant la Première Guerre mondiale. Dans plusieurs journaux dont La Nation belge du 13 décembre 1944 ou la Volksgazet du lendemain, est rapporté un même fait divers qui marque les esprits : « sur les 4 soldats britanniques et canadiens qui avaient des plaies abdominales, 3 ont été sauvés par la pénicilline : des résultats jamais atteints par aucun chirurgien britannique ».
Son industrialisation à grande échelle est menée à bien aux États-Unis pendant la guerre. Avec l’arrivée des Alliés en Belgique, c’est un nouvel horizon qui s’ouvre. Les Belges, isolés pendant de nombreuses années découvrent progressivement les incroyables propriétés curatives de ce médicament miracle. Pour que les médecins soient mis au courant des progrès réalisés par la médecine outre-Atlantique durant cette période, un conseiller du gouvernement (le professeur E. J. Bigwood), avec le concours de la Belgian American Educational Foundation Inc, leur envoie même des plaquettes explicatives sur la pénicilline, les transfusions sanguines, etc.
En janvier 1945, la production de la pénicilline est en augmentation aux États-Unis et on annonce que de petits contingents du médicament pourraient commencer à être mis à la disposition du public. Le mois suivant, on apprend que le Congo, qui s’occupait déjà de la fabrication de la quinine, va se lancer dans la fabrication de la pénicilline. Tout s’accélère… On peut aussi lire qu’un pas important est franchi : la pénicilline peut désormais être prescrite sous forme de capsules et ne doit plus nécessairement faire l’objet d’une injection sous-cutanée. La présence d’un médecin n’est donc plus obligatoire et la dose absorbée aurait même un effet trois fois plus durable que celle fournie par injection.
Se rendant compte de l’impact que peut avoir la pénicilline, La Meuse annonce, le 31 mars, que le conseil des ministres promet que dix millions de francs vont être alloués pour les travaux de laboratoire et sa fabrication ainsi que celle d’autres antibiotiques en Belgique.
Les espoirs qu’elle représente sont énormes pour les populations locales qui souffrent depuis le début de la guerre de la résurgence de certaines maladies du fait des pénuries alimentaires, du manque d’hygiène et de l’appauvrissement général. La pénicilline ne guérit pas tout mais peut soigner les plaies infectées, ainsi que la diphtérie, la pneumonie, la gangrène gazeuse, le tétanos, etc.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour qu’elle soit vendue sur le marché noir à un prix exorbitant. Les journaux tentent de dissuader ce genre de pratique en rappelant que la pénicilline doit être conservée dans de bonnes conditions sans quoi elle peut s’avérer dangereuse.
Dans son édition du 5 mai 1945, La Meuse ajoute qu’elle est réservée « aux cas où une infection reconnue sensible à la pénicilline et se montrant résistante aux autres thérapeutiques met directement la vie en danger » et que « sur rapport détaillé du médecin traitant spécifiant exactement la nature de la maladie et dans les limites des disponibilités, elle peut être obtenue au prix de 150 fr. l’ampoule ». Il faudra encore attendre pour que son utilisation se démocratise réellement.
En décembre 1945, Alexander Fleming partagera le prix Nobel de physiologie et de médecine avec Howard W. Florey et Ernst B. Chain pour cette découverte qui représente indubitablement un tournant décisif dans l’histoire de la médecine.
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Isabelle Ponteville